Pensée des morts

Georges Charles Brassens, Joel Favreau

Voilà les feuilles sans sève
Qui tombent sur le gazon
Voilà le vent qui s'élève
Et gémit dans le vallon
Voilà l'errante hirondelle
Qui rase du bout de l'aile
L'eau dormante des marais
Voilà l'enfant des chaumières
Qui glane sur les bruyères
Le bois tombé des forêts

L'onde n'a plus le murmure
Dont elle enchantait les bois
Sous des rameaux sans verdure
Les oiseaux n'ont plus de voix
Le soir est près de l'aurore
L'astre à peine vient d'éclore
Qu'il va terminer son tour
Il jette par intervalle
Une heure de clarté pâle
Qu'on appelle encore un jour

L'aube n'a plus de zéphire
Sous ses nuages dorés
La pourpre du soir expire
Sur les flots décolorés
La mer solitaire et vide
N'est plus qu'un désert aride
Où l'oeil cherche en vain l'esquif
Et sur la grève plus sourde
La vague orageuse et lourde
N'a qu'un murmure plaintif

La brebis sur les collines
Ne trouve plus le gazon
Son agneau laisse aux épines
Les débris de sa toison
La flûte aux accords champêtres
Ne réjouit plus les hêtres
Des airs de joie ou d'amour
Toute herbe aux champs est glanée
Ainsi finit une année
Ainsi finissent nos jours

C'est la saison où tout tombe
Aux coups redoublés des vents
Un vent qui vient de la tombe
Moissonne aussi les vivants
Ils tombent alors par mille
Comme la plume inutile
Que l'aigle abandonne aux airs
Lorsque des plumes nouvelles
Viennent réchauffer ses ailes
À l'approche des hivers

C'est alors que ma paupière
Vous vit pâlir et mourir
Tendres fruits qu'à la lumière
Dieu n'a pas laissé mûrir
Quoique jeune sur la terre
Je suis déjà solitaire
Parmi ceux de ma saison
Et quand je dis en moi-même
Où sont ceux que ton coeur aime?
Je regarde le gazon

Leur tombe est sur la colline
Mon pied la sait la voilà
Mais leur essence divine
Mais eux, Seigneur, sont-ils là?

Jusqu'à l'indien rivage
Le ramier porte un message
Qu'il rapporte à nos climats
La voile passe et repasse
Mais de son étroit espace
Leur âme ne revient pas

Ah quand les vents de l'automne
Sifflent dans les rameaux morts
Quand le brin d'herbe frissonne
Quand le pin rend ses accords
Quand la cloche des ténèbres
Balance ses glas funèbres
La nuit, à travers les bois
A chaque vent qui s'élève
A chaque flot sur la grève
Je dis N'es-tu pas leur voix?

Du moins si leur voix si pure
Est trop vague pour nos sens
Leur âme en secret murmure
De plus intimes accents
Au fond des coeurs qui sommeillent
Leurs souvenirs qui s'éveillent
Se pressent de tous côtés
Comme d'arides feuillages
Que rapportent les orages
Au tronc qui les a portés

C'est une mère ravie
À ses enfants dispersés
Qui leur tend de l'autre vie
Ces bras qui les ont bercés
Des baisers sont sur sa bouche
Sur ce sein qui fut leur couche
Son coeur les rappelle à soi
Des pleurs voilent son sourire
Et son regard semble dire
Vous aime-t-on comme moi?

C'est une jeune fiancée
Qui, le front ceint du bandeau
N'emporta qu'une pensée
De sa jeunesse au tombeau
Triste, hélas dans le ciel même
Pour revoir celui qu'elle aime
Elle revient sur ses pas
Et lui dit Ma tombe est verte
Sur cette terre déserte
Qu'attends-tu? Je n'y suis pas

C'est un ami de l'enfance
Qu'aux jours sombres du malheur
Nous prêta la Providence
Pour appuyer notre cœur
Il n'est plus notre âme est veuve
Il nous suit dans notre épreuve
Et nous dit avec pitié
Ami, si ton âme est pleine
De ta joie ou de ta peine
Qui portera la moitié?

C'est l'ombre pâle d'un père
Qui mourut en nous nommant
C'est une soeur, c'est un frère
Qui nous devance un moment
Sous notre heureuse demeure
Avec celui qui les pleure
Hélas ils dormaient hier
Et notre coeur doute encore
Que le ver déjà dévore
Cette chair de notre chair

L'enfant dont la mort cruelle
Vient de vider le berceau
Qui tomba de la mamelle
Au lit glacé du tombeau
Tous ceux enfin dont la vie
Un jour ou l'autre ravie
Emporte une part de nous
Murmurent sous la poussière
Vous qui voyez la lumière
Vous souvenez-vous de nous?

Ah vous pleurer est le bonheur suprême
Mânes chéris de quiconque a des pleurs
Vous oublier c'est s'oublier soi-même
N'êtes-vous pas un débris de nos coeurs?

En avançant dans notre obscur voyage
Du doux passé l'horizon est plus beau
En deux moitiés notre âme se partage
Et la meilleure appartient au tombeau

Dieu du pardon leur Dieu Dieu de leurs pères
Toi que leur bouche a si souvent nommé
Entends pour eux les larmes de leurs frères
Prions pour eux, nous qu'ils ont tant aimé

Ils t'ont prié pendant leur courte vie
Ils ont souri quand tu les as frappés
Ils ont crié Que ta main soit bénie
Dieu, tout espoir les aurais-tu trompés?

Et cependant pourquoi ce long silence?
Nous auraient-ils oubliés sans retour?
N'aiment-ils plus? Ah, ce doute t'offense
Et toi, mon Dieu, n'es-tu pas tout amour?

Mais, s'ils parlaient à l'ami qui les pleure
S'ils nous disaient comment ils sont heureux
De tes desseins nous devancerions l'heure
Avant ton jour nous volerions vers eux

Où vivent-ils? Quel astre, à leur paupière
Répand un jour plus durable et plus doux?
Vont-ils peupler ces îles de lumière?
Ou planent-ils entre le ciel et nous?

Sont-ils noyés dans l'éternelle flamme?
Ont-ils perdu ces doux noms d'ici-bas
Ces noms de soeur et d'amante et de femme?
A ces appels ne répondront-ils pas?

Non, non, mon Dieu, si la céleste gloire
Leur eût ravi tout souvenir humain
Tu nous aurais enlevé leur mémoire
Nos pleurs sur eux couleraient-ils en vain?

Ah dans ton sein que leur âme se noie
Mais garde-nous nos places dans leur cœur
Eux qui jadis ont goûté notre joie
Pouvons-nous être heureux sans leur bonheur?

Etends sur eux la main de ta clémence
Ils ont péché mais le ciel est un don
Ils ont souffert c'est une autre innocence
Ils ont aimé c'est le sceau du pardon

Ils furent ce que nous sommes
Poussière, jouet du vent
Fragiles comme des hommes
Faibles comme le néant
Si leurs pieds souvent glissèrent
Si leurs lèvres transgressèrent
Quelque lettre de ta loi
Ô Père, ô juge suprême
Ah, ne les vois pas eux-mêmes
Ne regarde en eux que toi

Si tu scrutes la poussière
Elle s'enfuit à ta voix
Si tu touches la lumière
Elle ternira tes doigts
Si ton oeil divin les sonde
Les colonnes de ce monde
Et des cieux chancelleront
Si tu dis à l'innocence
Monte et plaide en ma présence
Tes vertus se voileront

Mais toi, Seigneur, tu possèdes
Ta propre immortalité
Tout le bonheur que tu cèdes
Accroît ta félicité
Tu dis au soleil d'éclore
Et le jour ruisselle encore
Tu dis au temps d'enfanter
Et l'éternité docile
Jetant les siècles par mille
Les répand sans les compter

Les mondes que tu répares
Devant toi vont rajeunir
Et jamais tu ne sépares
Le passé de l'avenir
Tu vis et tu vis les âges
Inégaux pour tes ouvrages
Sont tous égaux sous ta main
Et jamais ta voix ne nomme
Hélas ces trois mots de l'homme
Hier, aujourd'hui, demain

Ô Père de la nature
Source, abîme de tout bien
Rien à toi ne se mesure
Ah ne te mesure à rien
Mets, à divine clémence
Mets ton poids dans la balance
Si tu pèses le néant
Triomphe, à vertu suprême
En te contemplant toi-même
Triomphe en nous pardonnant

Trivia about the song Pensée des morts by Hubert-Félix Thiéfaine

Who composed the song “Pensée des morts” by Hubert-Félix Thiéfaine?
The song “Pensée des morts” by Hubert-Félix Thiéfaine was composed by Georges Charles Brassens, Joel Favreau.

Most popular songs of Hubert-Félix Thiéfaine

Other artists of Folk