Une Tonne
Une année, j'ai pesé une tonne et cette année dura mille jours
Jamais on n'avait vu d'automne si long et de printemps si court
Tous les jeudis du Desdémone, j'allais oublier mon corps lourd
En noyant ma large personne dans des bains brûlant mes pourtours
Dans la chaleur du Desdémone, j'étais sexy belle et glamour
Mais à heure fixe et monotone, mon paradis fermait toujours
Alors je rentrais, pauvre conne, dans mon deux-pièces aveugle et sourd
Et j'allongeais ma pauvre tonne dans du velvet et du velours
Sur la voix de Nico Icon, de ma peau je faisais le tour
Avant de noyer ma bonbonne dans un gras sommeil de tambour
J'étais une tonne qui n'aimait personne
L'année suivante, j'ai maigri puis j'ai repris huit-cents kilos
Que j'ai perdus presque à demi pour les regagner à nouveau
C'était l'époque où à midi, je déjeunais de queues d'agneau
J'en avalais des panoplies et je dégueulais en sanglots
Souvent le soir un vieil ennemi venait m'escalader le dos
Et moi, montagne blasée d'ennui, je le laissais faire son boulot
À plat ventre sur mon grand lit, j'étais offerte à ce nabot
Il ruait, je disais "merci", il jouissait, je disais "bravo"
Quand enfin il était parti, je me repassais ma Nico
Et dans le noir post coïti, je consolais mon corps trop gros
J'étais une tonne qui n'aimait personne
Il y a un an, à ras de terre, j'allais énorme et sans désir
Faire des parties de solitaire en buvant trop et sans plaisir
Dans un café presque désert, m'est apparue entre deux kirs
L'image d'un type ordinaire qui m'a regardée sans frémir
Comme un hélium dans mes artères, il est entré sans prévenir
Et moi, montagne blasée hier, je me suis vue naître et mourir
Il resta et les jours passèrent, je l'adorais à en maigrir
Plus ses mains caressaient ma chair, plus je sentais ma tonne me fuir
Aujourd'hui mon beau mon si cher, grâce à toi enfin je respire
Mon obésité suicidaire n'est plus qu'un mauvais souvenir.